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lundi 10 avril 2023

PAPI

 



Papi en officier avec son cheval qui l'emmenait partout.

On retrouve quelquefois dans un grenier, au fond d’une armoire, quelques beaux tirages photographiques d’hommes ou de femmes en uniforme de soldats ou d’infirmières. On apprend qu’ils furent nos arrières grands-parents, grands-oncles, grands-tantes. L’envie alors nous prend d’en savoir plus. Les archives départementales ont toutes conservé les livrets militaires et l’état civil de ces serviteurs de la nation et on peut désormais les consulter librement et facilement par internet. Un peu de pratique est nécessaire mais n'est pas insurmontable. Ensuite, comme vous le verrez dans ce qui suit, vous pourrez recouper les informations que vous avez trouvées avec celles exposées sur les sites des spécialistes ou amateurs qui traitent des mêmes lieux et événements que votre ancêtre a traversés. C’est passionnant et fascinant tant au regard des nouvelles technologies déployées qu’à la qualité des contenus surtout chez les amateurs passionnés qui exposent leurs recherches et découvertes comme ceux pour lesquels un lien a été placé dans ce texte en cohérence avec les lieux cités. Voilà de quoi occuper vos soirées d’hiver !

Ils s’appelaient Ismaël, Narcisse, Lucien, Gaston, Marcelle, Claire ou Magdeleine et ils ont participé à la première Guerre mondiale de 1914 sans qu’aucun d’eux n’évoquent leurs cruels souvenirs.



Narcisse avant de partir au combat

Ainsi nous nous sommes intéressés au passé d’un des leurs que nous avons brièvement connu : Ismaël-Louis dit Papi. Qu’allions nous découvrir et que cachaient ces objets retrouvés dans les greniers : une paires de molletières en cuir, 2 chemises Américaines Kaki, un étui de flingue en cuir et des jumelles graduées.

 Voici ce que nous avons trouvé :

  • Né le 13/7/1890 à Hauterive dans la Drome.
  • Mort du Père Pierre agriculteur en 1904
  • Engagé volontaire en 07/01/1905 (il n’a que 15 ans ! *)
  • Brigadier en 1909
  • Renvoyé dans ses foyers en 1911 à sa majorité alors à 21 ans.

* Cela semble étonnant d’être engagé volontaire dans l’armée alors qu’on est encore adolescent, mais cela permettait de se tirer de situation difficile tout en bénéficiant d’une éducation certes rigoureuse, mais aussi d’une solde et d’un certain confort de vie tel que la retraite et les soins. Selon la loi de 1905, pouvaient s’engager de 3 à 5 ans les jeunes gens ayant au minimum 16 ans. A la fin des années 1970, cette possibilité existait toujours et nous nous souvenons avoir aidé pendant nos 3 jours de service national ce petit gars de 16 ans à la peau cramée par le soleil à remplir sa demande d’engagement car il ne savait ni lire ni écrire quoique parlant parfaitement français. Il était berger dans les Pyrénées, issu de la DAS et espérait ainsi s’échapper des conditions miséreuses dans lesquelles la vie l’avait plongé. Ses yeux brillaient devant le sergent recruteur à l’idée de troquer ses hardes (un vieux costume de mariage paysan) contre des sous-vêtements neufs, pantalon, chemise et chaussures offerts par son pays et un « pieux » au sec où dormir. Etant orphelin de père en 1904, Papi a sans doute trouvé cet engagement comme une aubaine pour soutenir sa famille en leur apportant les quelques sous de sa solde et en assurant sa propre charge et éducation. Cette possibilité d’engagement dans l’armée existe encore aujourd’hui et a été étendue au 2 sexes à partir de 17 ans pour une période d’un an.

 1er aout 1914 la guerre éclate ; rejoint le 38eme d’artillerie .Son unité part pour les Vosges pour soutenir la reconquête de l’Alsace-Lorraine dans la bataille de Mulhouse.

Il est alors artilleur, officier de liaison dans une batterie de canons de 75.

Il combat jusqu’en septembre à Saint Benoit, Bru la Chipotte, Raon l’étape où les soldats ennemis pillent les territoires pris

Puis d’octobre 1914 à mai 1915 il  est actif sur  les crêtes des montagnes au Mont du LOUPMONT et dans le Bas-Jura.

Ensuite, il est dans la région de Flirey, au Bois de Mort-Mare.

Puis on le retrouve de Mai à juin 1916 au Violu, à la Tête des Faux  où les « boches » mènent une attaque le soir de Noël et au tristement célèbre LINGEKOPF  (17 000 morts dans les 2 camps)

Mais les lignes de front évoluent peu dans les Vosges et il est appelé pour arrêter l’avancée allemande dans le nord du pays et participer à la grande boucherie qu’a été la bataille de la somme de juillet à novembre 1916. Maurepas, Soillisel, Combles, Rancourt ; ces noms résonnent comme autant de coups de glas sur le bourdon des églises.

Dès décembre 1916, le revoilà sur le front de l’est à Hartmanwillerkopt (40 000 morts) jusqu’en septembre 1917 où on le voit au fort de Brimont prés de Reims (où les russes combattent à ses cotés) sur le site du Chemin des Dames, à Berry au bac à la cote 108, à Craonne, Hurtebise, où des centaines de milliers d’hommes de toutes races et de tous pays ont été sacrifiés.



Verdun : un soldat inconnu enseveli debout, seul la baïonnette de son fusil dépasse.

La lutte contre la triple entente (Allemagne, Autriche, Italie) et la spécialité de son unité, l’artillerie de montagne, vont l’emmener sur le front Autrichien en Italie en renfort de l’armée italienne devenue une alliée. Dans des conditions dantesques, il fait parler les canons Français dans les monts Torriba et Fenera (Grande Guerre : quand les poilus se battaient en Italie (france24.com)) jusqu’en mars 1918 avant de revenir en France où il combat à Raineval, Mailly et Cauvigny en Picardie.

Puis les armées alliés l’emmènent se battre a Aubvillers au Bois des Arrachis, à Neuville, Saint Bernard pour ramener l’ennemi d’où il venait avant d’entrer en Belgique désormais libre en Aout 1918.




Croix de guerre d'Ismaël-Louis retrouvée dans les décombres de sa maison incendiée

Et à partir de là, patatras! il chope la grippe Espagnole apportée par les troupes alliés. Ce virus comme la COVID attaque les voies respiratoires et à l’époque peu de gens en réchappe. Il se voit mourir de cette saloperie alors même qu’il a traversé tous les enfers, éprouvé sa résilience aux blessures du corps et de l’esprit. Très pieux, il prie pour qu’on lui épargne la souffrance et la mort; alors qu’il lui reste un filet de vie, son Dieu lui envoie un ange…

 

Les Anges Blancs et Marraine de Guerre

 



Carte postale allégorique glorifiant le travail des "anges blancs" volontaires pour soigner les blessés de la grande guerre (carte postale trouvée au Marché Dauphine des puces de Saint OUEN)

A l’arrière du front, la vie continuait presque comme avant, notamment en province. Les historiens nous disent que rien ne manquait sinon les hommes qui partaient au front et encore pas tous (les pieds plats, les orteils en marteau, les maladies en tous genres étaient rédhibitoires). L’économie de guerre basé sur le volontariat fonctionnait à plein tuyau et le gouvernement préférait commander de l’armement et du ravitaillement ainsi que motiver des troupes plutôt que faire comme les « schleus », réquisitionner à tout va pour l’armée au mépris de leur population civile qui souffrait terriblement de la faim.

Il n’empêche que, rapidement, cette guerre s’est avérée une gigantesque boucherie avec un lot incroyable de blessés horriblement mutilés et les hôpitaux prés du front étaient incapables d’accueillir tous ces mourants. C’est ainsi que fût organisée l’évacuation des blessés transportables vers les villes de l’arrière équipées de structures hospitalières et desservies par le rail dans des trains hôpitaux.



Portrait de Marcelle par sa cousine germaine Clairette dans le bureau de recrutement militaire pour devenir aide-soignante bénévole auprès des soldats blessés.


Mais que faire de tous ces « patients » si on n’a pas le personnel pour les soigner ? C’est là que sont intervenues les associations de femmes d’aide aux soldats, proposant à leurs membres sur la base du volontariat de participer à l’effort de guerre au chevet des malades ou blessés. Rennes est ainsi devenue un point névralgique de soins aux victimes. Est-ce là que la Jeune et jolie Marcelle est adoubée membre d’une de ces associations (future Croix Rouge) à un peu plus de 20 ans et à été recrutée comme « ange blanc », c'est-à-dire aide-soignante auprès du contingent sur le flanc ? Et est-ce la volonté divine par les prières d’Ismaël-Louis qui ont fait qu’il a été évacué avec bon nombre de ses frères d’arme vers Rennes ? Nul ne sait. Toujours est-il que ces deux-là se sont trouvés par cette dramatique entremise et plus jamais quittés…


Epilogue

 Ils furent heureux … pour quelques temps ; et de nouveau la guerre. Papi est réquisitionné en tant qu’officier de réserve. En 1939, le voilà Lieutenant à Bergerac derrière la ligne de démarcation dans un dépôt de munition (encore en fonction de nos jours et réactivé il y a peu). Puis on perd sa trace après juin 40 date à laquelle il est démobilisé et rejoint son « ange blanc » Marcelle, dorénavant mère de deux jeunes gens.



Ismaël-Louis (a gauche) en 39 à Bergerac avec son pote du moment.
(Probablement convalescent après une blessure, il se tient à la rampe du perron et au bras du collegue) 


Précisions

En 1914, la législation sur l’engagement militaire correspond au titre IV de la loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée. Selon ses termes, les jeunes gens volontaires ont le choix entre deux formulaires d’engagement : une durée déterminée de trois, quatre ou cinq ans en temps de paix, ou pour la durée de la guerre en cas de conflit. L’engagé jouit d’un certain nombre d’avantages comme le fait de pouvoir choisir son arme : cette possibilité qui leur était offerte permet sans doute d’expliquer certains engagements survenus peu de temps avant l’appel réglementaire, qui peuvent alors être considérés comme des stratégies d’évitement. Les jeunes gens doivent être âgés de dix-huit ans révolus et obtenir le consentement de leurs parents s’ils ont moins de vingt ans. Toutefois, un décret pris le 6 août 1914 autorise les engagements à partir de dix-sept ans. En outre, un jeune engagé ne peut être ni marié ni chargé d’enfants en raison d’un veuvage. Ce sont les mairies des chefs-lieux de canton qui reçoivent les engagements (un conseiller municipal accompagné d’un militaire). Malheureusement, les deux registres d’actes d’engagements couvrant la guerre sont manquants aux Archives communales de Digne ce qui fait que nous n'avons pas eu accès aux détails de la situation d'Ismaël à ce moment-là.